Depuis 2014, le comité des Réalités Nouvelles invite un collectif à exposer des installations Arts et Sciences dans l’espace du Salon. Cette année, quatre propositions sont présentées à l’Espace Commines avec des installations du collectif Percept-Lab, du duo B_Long, de Jean-Marc Chomaz ainsi que des photographies d’Hippolyte Dupont.
B_LONG [Carol-Ann BRAUN, Alain LONGUET]
O’KIFF
2024, installation générative de B_LONG sur écran courbe composé de LEDs et muni de webcams, 200 x 70 x 70 cm © Alain Longuet & Carol-Ann Braun, Adagp Paris 2024
L’installation est accompagnée du robot Buddy (56 x 35 x 35 cm) de Blue Frog Robotics.
L’installation arts et sciences du collectif B_LONG intègre cette année trois dispositifs interactifs et interconnectés :
• un panneau LED muni d’une webcam et de plusieurs mini-serveurs Raspberry Pi. Sous la forme d’une colonne de 2 mètres de haut et de 70 cm de diamètre, ce panneau courbe affiche une œuvre générative réalisée par Alain Longuet. La webcam intégrée permet de reconnaître la présence de visiteur·ses et d’y adapter l’évolution des formes générées.
• Buddy, un robot émotionnel, autonome et évolutif doté de logiciels et d’outils d’IA. Il sera customisé par l’équipe du Fablab Lorem, géré par Agostinho Vaz Nunes, afin d’intégrer l’environnement graphique de l’œuvre O’KIFF. Il est question d’adapter ChatGPT afin de commencer à scénariser le dialogue avec les visiteur·ses.
• une constellation de rendus 3D réalisés par l’équipe du Fablab Lorem, inspirés par le travail d’Alain Longuet. Images virtuelles intégrées à l’environnement du couloir et accessibles par QR codes et tablettes numériques.
Le matériel nécessaire à la réalisation de O’KIFF a été fourni par une initiative intitulée « La STATION C », destinée aux quartiers populaires du treizième arrondissement de Paris. « La STATION C » vient d’être lancée grâce à un Budget Participatif de la Mairie du 13e arrondissement de Paris, voté en 2019 (porté par Michel Boudeliou et Carol-Ann Braun) et officiellement accordé en 2024. L’objectif de ce projet – créer un « village popup hi-tech » – est de fournir le matériel technique et informatique nécessaire à la conduite de services sociaux hors les murs, notamment dans l’espace urbain, au plus près des habitants des quartiers prioritaires de la Ville de Paris.
L’installation proposée dans le cadre du Salon Réalités Nouvelles est une toute première itération d’une série de dispositifs artistiques imaginés pour « La STATION C », à la croisée de l’art et de l’innovation technique et destinés aux acteurs du terrain et leurs publics, freinés par des conditions de vie et de travail précaires.
B_LONG regroupe les œuvres génératives du tandem Carol-Ann Braun et Alain Longuet. Les recherches multimédia de Carol-Ann Braun sont à la croisée du pictural et du design d’interfaces interactives. Alain Longuet participe à l’émergence de l’art vidéo dans les années 80 avec des œuvres axées sur la danse, la photographie, la musique et les arts plastiques.
Pour le projet O’KIFF, B_LONG réunit une équipe technique et artistique qui inclut :
• Maa BERRIET et son équipe, munis du logiciel open-source AAASeed.
• Agostinho VAZ NUNES du Fablab Lorem et ses partenaires industriels dont Blue Frog Robotics pour le robot Buddy.
• Ixsé MAITRE et son équipe du Laboratoire SAS (Science Art et Société) à Saclay.
• Chip PAONESSA, fournisseur de panneaux LED et support technique.
https://carolannbraun.art/ –
https://lastationc.org –
http://alainlonguet.free.fr
@carol_ann_braun
Jean-Marc CHOMAZ
Percevoir le bruit du monde
2024, installations arts et sciences, œuvre collective coordonnée par Jean-Marc Chomaz avec Olivier Doaré et Quentin Benelfoul, et la participation de Elsa Lubek, Audrey Gosset, Marie-Eve Morissette, Antonin Gagnere et Joaquim Pereira de Almeida Neto dans le cadre du Lab1 de l’école d’été Useful Fictions • 4 © Jean-Marc Chomaz – Photo : Julie Everaert
Imaginons un monde où le son ne s’entend pas mais se ressent et devient presque palpable. Les vibrations sonores, qu’elles soient parole, murmure, musique ou bruit, résonnent dans notre corps. Mais le son est aussi la respiration qui permet le chant, les aurores dans la nuit polaire, la genèse des mondes.
Ces vibrations représentent un univers de langages sensibles, des calligraphies invisibles. Tous ces instants se perdront dans le temps comme ton souffle dans le vent. Au-delà des tympans, les muscles, les organes, le squelette entrent en vibration sous le flux des ondes acoustiques. La peau perçoit le contact, la texture et les battements de l’air, d’une surface ou d’un corps.
Trois installations proposent des sculptures invisibles de vibrations et de mouvement d’air. À vous d’explorer ces Temps—Espaces en regardant par votre peau, en écoutant à travers votre corps. Elles explorent la transformation des sons en vibrations, en textures et en souffle, permettant ainsi de les ressentir d’une autre manière, ouvrant la voie à une nouvelle compréhension, à de nouvelles illusions.
Jean-Marc Chomaz est artiste, physicien et chercheur au CNRS, professeur à l’École polytechnique, coresponsable de la Chaire arts & sciences de l’École polytechnique et de l’École nationale supérieure des Arts Décoratifs - PSL et la Fondation Daniel et Nina Carasso. Il a cofondé le Laboratoire d’Hydrodynamique (LadHyX) qu’il a codirigé de 1990 à 2013, le Labex LaSIPS, la Diagonale Paris Saclay.
Ses recherches portent sur la dynamique des films de savon, la biomécanique, la théorie de l’instabilité, l’éclatement tourbillonnaire, les fluides géophysiques, l’océanographie, le climat et les relations entre arts et sciences. Comme artiste, il a réalisé une trentaine d’œuvres personnelles ou en collaboration avec différents artistes, exposées internationalement. Il est cofondateur, en 2005, avec Laurent Karst, architecte-designer, du collectif Labofactory.
L’Installation Percevoir le bruit du monde a été développée par Useful Fictions Lab (www.useful-fictions-lab.fr) du centre interdisciplinaire SPIRAL — Science, People, Imagination, Research, Art, all Linked — de l’Institut Polytechnique de Paris (www.ip-paris.fr/spiral) créé en 2023 comme prolongement de la chaire arts & sciences (www.chaire-arts-sciences.org) et qui en prend la suite avec plus de 80 enseignants chercheurs impliqués.
www.useful-fictions-lab.fr –
www.ladhyx.polytechnique.fr
Hippolyte DUPONT
Fluorescence bleue 1 et 2
20223, photographies, 60 x 80 cm © Hippolyte Dupont
La physique – et plus particulièrement l’optique – offre une grande variété d’effets au fort potentiel esthétique. Utiliser des phénomènes physiques méconnus à des fins de création artistique est devenu l’objet central du travail d’Hippolyte Dupont. Son attention se porte notamment sur la physique des lasers.
La série photographique débute ici avec l’œuvre Luma bleu, l’une des premières créations de l’artiste utilisant des lasers. Un faisceau laser, déformé par un filtre rugueux, y génère des motifs circulaires délicats. Cette technique, inspirée des expérimentations de Thomas Wilfried dans les années 1920, marque le début de sa recherche photographique autour des lasers à des fins esthétiques. Le faisceau laser, formant un cercle, est partiellement dévié par les aspérités du filtre, créant ainsi des irrégularités aériennes autour de l’image.
Par la suite, Hippolyte Dupont a souhaité approfondir ce travail dans le cadre d’un projet plus vaste, visant à utiliser le potentiel esthétique de l’optique pour documenter la recherche scientifique contemporaine à des fins de médiation. C’est ainsi qu’est née sa collaboration avec le Laboratoire de Physique des Lasers (Université Sorbonne Paris Nord). Il y a rencontré Sébastien Forget, qui travaille sur le développement de nouveaux lasers à base de colorants. Plusieurs matériaux utilisés dans la fabrication de lasers ont ainsi été photographiés, dont l’un est d’aspect cylindrique. Dans ce matériau, des bulles d’air se sont formées, rappelant en miniature l’ensemble de la structure. Lorsqu’il a été éclairé par une lumière ultraviolette, le colorant a restitué l’énergie lumineuse sous forme de fluorescence, produisant une douce lumière bleutée. Davantage d’explications scientifiques sont disponibles sur le site dédié au projet : artinphysics.fr.
Ces deux types de photographies, mises en parallèle, offrent deux visions du laser. La première cherche à esthétiser le faisceau, tandis que la seconde documente son origine physique de manière esthétique. Elles représentent deux façons de travailler un même objet scientifique et technique à des fins photographiques.
Luma bleu
2022, photographie, 60 x 80 cm © Hippolyte Dupont
Hippolyte Dupont est un photographe et ingénieur issu de l’Institut d’Optique. Ses créations reposent principalement sur une utilisation sensible des effets de l’optique et de la physique fondamentale. Il se concentre dans un premier temps sur l’utilisation des lasers pour réaliser des œuvres interactives en lien avec l’architecture ou le spectacle vivant. Toujours à l’interface de l’optique et de l’art, son travail photographique a pour but de figer le potentiel esthétique derrière certains phénomènes optiques et physiques afin de les faire connaître.
www.hippolyte-dupont.fr –
www.artinphysics.fr
@hippolyte_dupont
PERCEPT-LAB [Filippo FABBRI, Laurent KARST, Kamran BEHNIA]
Le ZONY de l’antimoine : une vanité en hommage à la science
2024, installation de Percept-Lab : Filippo Fabbri, chercheur-compositeur – Laurent Karst, architecte-designer, docteur arts et sciences – Kamran Behnia, chercheur © Percept-Lab [Filippo Fabbri, Laurent Karst, Kamran Behnia]
Le ZONY de l’antimoine est une installation arts et sciences. Elle traduit une approche à la fois poétique, sensorielle et esthétique d’une recherche scientifique sur la caractérisation de la pierre d’antimoine à partir des surfaces de Fermi. La forme sculpturale, au cœur de ce dispositif sensoriel, n’a pas été conçue par l’homme : c’est la nature qui l’a dessinée. ZONY incarne une géométrie complexe, un agencement organique de courbes entrelacées, une sensualité de lignes portées par une rigueur géométrique. Résultat d’un savant processus physique et mental, elle lévite au-dessus de la pierre d’antimoine, en émettant un son comme si elle en était l’émanation. Elle tourne lentement, comme si elle voulait la décrire en un mouvement qui s’oppose à sa statique. Cette installation est une vanité, une célébration, un hommage à la science et à la fascination qu’elle exerce sur nos sens.
Intention artistique
La science nous donne à voir des choses surprenantes, nous révèle l’invisible. Un invisible nous interpelle parfois par sa beauté. Tel est le cas de cette très belle forme sculpturale ZONY. Elle incarne cette géométrie complexe, un agencement organique de courbes entrelacées, la sensualité des lignes portées par une rigueur géométrique. Cette forme n’a pas été conçue a priori. Elle est le résultat d’un savant processus physique et mental. Pourtant elle ne surgit que par cette magie de la connaissance portée par la physique et les mathématiques. Elle témoigne de la spécificité de la pierre d’antimoine. Elle en raconte le lien intime. Elle lévite au-dessus de la pierre comme si elle en était l’émanation. Elle tourne lentement comme si elle voulait la décrire, la célébrer en un mouvement qui voudrait s’opposer à sa statique, décrivant ici une topographie abstraite de particules qui la caractérisent.
Intention scientifique
L’un des triomphes de la physique quantique est l’explication de la différence entre les métaux et les isolants. Il y a des électrons libres dans un solide métallique qui n’appartiennent plus à leurs atomes d’origine. Ces électrons libres forment un liquide quantique. Puisqu’ils sont des fermions et ne peuvent pas partager le même état quantique, ils occupent les états disponibles et s’empilent les uns sur les autres.
Or, ces électrons sont autant des ondes que des particules. Chaque état quantique est désigné par un vecteur d’onde. Ce dernier se mesure par une unité qui est l’inverse de la distance. Par conséquent, cet empilement des états quantiques pour ces fermions se déroule dans l’espace réciproque. À l’inverse de l’espace réel, les distances dans l’espace réciproque se mesurent en inverse du mètre. Ce qui est loin dans l’espace réel, devient donc proche en espace réciproque.
On appelle la surface de Fermi la frontière entre les états occupés et les états inoccupés. Tout solide métallique cristallin à une surface de Fermi. Il s’agit d’une sorte de carte d’identité qui se déduit des détails de ses atomes, des configurations et des liaisons entre chaque atome et ses voisins. Cette surface de Fermi se calcule par des théoriciens et se détecte par des expérimentateurs.
Le terme ZONY a été inventé par les physiciens qui l’ont mesuré pour la première fois : Benoît Fauqué, Xiaojun Yang, Wojciech Tabis, Mingsong Shen, Zengwei Zhu, Cyril Proust, Yuki Fuseya et Kamran Behnia, Magnetoresistance of semimetals: The case of antimony, Phys. Rev. Materials 2, 114201 (2018). Il se projette comme un Z, comme un O, comme un N et comme un Y en fonction de l’angle de l’observation.
Cette forme sculpturale n’a pas été dessinée par les hommes qui l’ont découverte comme des explorateurs arrivant sur une île déserte. C’est la nature qui l’a dessinée, non pas dans l’espace réel, mais dans l’espace réciproque.
Intention sonore
La surface de Fermi de l’antimoine, ZONY, est un espace abstrait qui permet de prévoir les propriétés et les comportements de ce matériau dans le monde physique. Ce territoire se situe dans un espace inaccessible à nos sens, l’espace réciproque, dans lequel on décrit les niveaux d’énergie des électrons en fonction de leurs vecteurs d’onde.
Le travail sonore de notre installation crée une expérience sensible de ce territoire, à travers la matérialisation sonore des trajectoires électroniques de la surface de Fermi ZONY, spatialisée dans les trois dimensions de l’espace métrique, accessibles aux sens. Les niveaux d’énergie associés aux fréquences des vecteurs d’onde des électrons sont transposés dans ce matériel sonore, qui s’inspire et s’imprègne de la signature sonore du cristal d’antimoine.
La pierre antimoine
La pierre antimoine tire son nom de deux mots de grec ancien. L’un est « anti », que l’on peut traduire par « à l’opposé de », et l’autre, « monos » signifie « seul ». Cette origine est confirmée par des croyances anciennes qui affirmaient qu’un tel métal ne se présente jamais seul.
Depuis le Moyen Âge, l’antimoine est l’objet de nombreuses légendes auprès de la communauté des moines. Cette pierre possède en outre une forte charge symbolique, et on lui prête des pouvoirs surnaturels sur le plan du bien-être physique et mental. Depuis l’Antiquité, elle a été régulièrement utilisée dans plusieurs domaines technologiques.
Percept-Lab est un collectif artistique pluridisciplinaire – créé en 2021 par Laurent Karst, architecte-designer, docteur art et sciences, enseignant à l’ENSA Dijon en architecture et design d’espace, et Filippo Fabbri, chercheur-compositeur et maître de conférences à l’université Paris-Saclay – qui a pour vocation de développer des œuvres et des installations avec une forte empreinte sensorielle autour de processus de dialogue entre arts et sciences.
Percept-Lab est le prolongement d’une recherche initiée depuis plusieurs années autour d’une collaboration avec l’École polytechnique au sein du collectif Labofactory créé en 2005. Ce travail de recherche entre arts et sciences a produit plus de 25 œuvres, présentées en France et à l’étranger dans le cadre de nombreuses expositions et événements à la fois artistiques et scientifiques. Le collectif a pour but de rassembler des chercheurs, des artistes, des designers, des compositeurs, des philosophes et des créateurs de différente nature, autour d’une synergie nouvelle entre arts et sciences.
www.percept-lab.com –
www.atelier16-architectures.com –
www.filippofabbri.art